3 À l’est d’Éden
La Révolution agricole et le raffinement de la violence
« Et le Seigneur dit à Caïn : “Où est Abel, ton frère ?” Et il répondit : “Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère ?” Et Dieu reprit : “Qu’as-tu fait ? La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi.” » — GENÈSE 4 :9‑10
Il y a cinq cents générations, l’organisation de la société humaine a connu sa première rupture décisive.1 Dans diverses régions du monde, nos ancêtres se sont munis à contrecœur d’outils rudimentaires — pieux et houes de fortune — et ont commencé à cultiver la terre. En faisant naître les premières récoltes, ils ont également jeté les bases d’une nouvelle forme de pouvoir. La Révolution agricole fut la première grande révolution économique et sociale. Elle débuta avec l’expulsion d’Éden et progressa si lentement qu’à l’aube du XXe siècle, elle n’avait pas encore totalement supplanté la chasse et la cueillette dans toutes les régions fertiles du globe. Les spécialistes estiment même qu’au Proche-Orient, berceau de l’agriculture, son essor fut le fruit d’« un long processus graduel qui a pu s’étendre sur cinq mille ans ou plus2 ».
1 Boyden, op. cit., p. 4.
2 Gregg, op. cit., xv.
On pourrait juger excessif de qualifier de « révolution » un processus s’étalant sur plusieurs millénaires. Pourtant, l’avènement de l’agriculture fut bel et bien une révolution au ralenti, qui transforma la vie humaine en bouleversant la dynamique de la violence. Partout où l’agriculture prenait racine, la violence devenait un facteur déterminant de l’organisation sociale, permettant aux élites qui savaient la contrôler ou la manipuler de dominer la société.
Comprendre la Révolution agricole est essentiel pour appréhender la Révolution de l’Information. L’introduction du labour et des récoltes illustre parfaitement comment un simple changement dans l’organisation du travail peut transformer radicalement la structure de la société. En replaçant cette transformation dans son contexte historique, vous serez mieux à même d’anticiper comment la nouvelle logique de la violence, instaurée par les microprocesseurs, reconfigurera à son tour la société.
Pour saisir toute l’ampleur de la Révolution agricole, il faut se représenter ce qu’était la société primitive avant l’avènement de la culture des sols. Nous avons abordé ce sujet dans The Great Reckoning et en proposons ici un bref aperçu. Durant le long sommeil de la préhistoire, les sociétés de chasseurs-cueilleurs furent la seule forme d’organisation sociale. D’une génération à l’autre, la vie humaine n’évoluait presque pas. Les anthropologues estiment que nos ancêtres ont vécu de la chasse et de la cueillette pendant 99 % du temps qui s’est écoulé depuis leur apparition sur Terre. Le succès prolongé de ces groupes, puis leur inévitable déclin, tient à leur organisation à très petite échelle et à leur dispersion sur de vastes territoires.
Les sociétés de chasseurs-cueilleurs ne pouvaient subsister qu’à une très faible densité de population. Pour le comprendre, imaginons les difficultés auxquelles un groupe plus important aurait été confronté. Par exemple, un millier de chasseurs arpentant un même territoire auraient provoqué un tel vacarme qu’ils auraient fait fuir tout le gibier qu’ils espéraient capturer. De plus, même si une petite troupe parvenait à encercler un immense troupeau, les ressources environnantes — fruits et plantes sauvages — ne se renouvelleraient pas assez vite. De même, une population importante de cueilleurs épuiserait son environnement, à la manière d’une armée affamée pendant la guerre de Trente Ans. Il était donc indispensable que les groupes restent de taille modeste pour éviter cet écueil. Comme l’explique Stephen Boyden dans Western Civilization in Biological Perspective : « Le groupe du chasseur-cueilleur compte le plus souvent entre vingt-cinq et cinquante individus3. »
3 Boyden, op. cit., p. 62.
Aujourd’hui, disposer de quatre mille hectares dans une zone tempérée relève d’un luxe réservé aux plus fortunés. Or, une famille de chasseurs-cueilleurs aurait à peine pu survivre sur une superficie moindre. En effet, il fallait généralement compter plusieurs milliers d’hectares par personne, même dans les régions les plus riches en ressources naturelles. Par conséquent, la moindre croissance démographique pouvait engendrer d’importantes crises. Étant donné l’immense superficie nécessaire pour faire subsister un seul individu, la densité de population des sociétés de chasseurs-cueilleurs était donc extrêmement faible. Avant l’agriculture, les humains étaient aussi dispersés que des ours.
À quelques différences près, le régime alimentaire de l’homme rappelait celui de l’ours. Les sociétés de chasseurs-cueilleurs vivaient de ce que la nature leur offrait, que ce soit sur terre ou dans l’eau. Si certains pratiquaient la pêche, la plupart dépendaient de la chasse, les grands mammifères fournissant entre un cinquième et un tiers de leur apport en protéines. Mis à part quelques outils rudimentaires et objets facilement transportables, ils ne disposaient guère de technologies avancées. Faute de moyens de conservation efficaces, la viande et les autres denrées devaient être consommées rapidement, sous peine de pourrir. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils se refusaient à consommer des aliments avariés. Comme le rapporte Boyden, « on dit que les Esquimaux raffolent de nourriture en décomposition4. » Il s’appuie sur des témoignages d’experts qui décrivent comment les Esquimaux enterrent des têtes de poisson et les laissent se décomposer jusqu’à ce que les os acquièrent une consistance proche de celle de la chair, puis malaxent cette masse puante pour en faire une pâte, tout en se régalant également « des larves grasses et grouillantes de la mouche du caribou, avalées crues… des excréments de cerfs, consommés comme des baies… et de la moelle âgée de plus d’un an, grouillante d’asticots »5.
4 Ibid., p. 67.
5 Ibid.
6 Gregg, op. cit., p. 23. (Note : la citation de Sir Henry Maine sur « l’universalité de la belliqueuse nature primitive de l’homme » figure plus haut dans le texte.)
Hormis ces quelques « délices », la nourriture des chasseurs-cueilleurs ne constituait guère un surplus. Comme l’explique l’anthropologue Gregg, « les populations mobiles ne stockent généralement pas de vivres pour les périodes saisonnières difficiles ou les ressources inattendues6. » Il n’y avait donc presque rien à dérober. Dans un tel contexte, cette incapacité à stocker les vivres interdisait toute division du travail qui aurait pu conduire à une spécialisation dans la violence. De surcroît, les contraintes de la chasse maintenaient les groupes à une taille très réduite, ce qui limitait l’ampleur d’éventuels affrontements entre bandes.
La petite taille de ces bandes présentait un autre avantage : chacun se connaissait intimement, ce qui facilitait la coopération. En effet, la prise de décision est plus ardue au sein d’un grand groupe, où le risque que certains se défilent est plus élevé. Il suffit d’imaginer la difficulté de réunir une douzaine d’individus pour partager un simple repas, a fortiori de coordonner des centaines, voire des milliers de personnes, pour mener une vie nomade autour d’un banquet itinérant. Dépourvues de structure politique permanente ou d’une caste vouée à la guerre, ces bandes reposaient sur la persuasion et le consensus — des mécanismes particulièrement efficaces au sein de petits groupes aux mœurs plutôt tolérantes.
La question de savoir si ces bandes étaient pacifiques ou non demeure débattue. Sir Henry Maine évoquait déjà « la belligérance universelle de l’homme primitif », estimant que « ce n’est pas la paix qui est naturelle et primitive, mais la guerre »7. Cette thèse trouve un écho dans les travaux de biologistes de l’évolution. R. Paul Shaw et Yuwa Wong soulignent en effet que « de solides indices laissent penser que nombre de blessures observées chez l’Australopithèque, chez l’Homo erectus et chez l’Homo sapiens de la quatrième période glaciaire européenne – et même antérieures – résultent de combats »8. Toutefois, d’autres spécialistes, comme Stephen Boyden, estiment que les groupes primitifs n’étaient généralement ni belliqueux ni enclins à la violence. Des normes sociales s’étaient développées pour atténuer les tensions internes et favoriser le partage après la chasse. Dans les zones où l’on chassait le grand gibier, difficile à abattre pour un chasseur isolé, des règles sociales et religieuses apparurent pour garantir un partage équitable du butin. La répartition de la nourriture constituait ainsi une priorité, dictée davantage par la nécessité que par la bienveillance. La priorité était donnée à ceux qui démontraient les meilleures aptitudes à la chasse et au combat, au détriment des malades et des faibles. Cette répartition s’imposait, car les chasseurs les plus valides constituaient l’atout majeur pour la survie du groupe ; les favoriser permettait aussi de prévenir des rivalités internes potentiellement meurtrières.
7 Gregg, op. cit., p. 23. (Note : la citation de Sir Henry Maine sur « l’universalité de la belliqueuse nature primitive de l’homme » figure plus haut dans le texte.)
8 R. Paul Shaw et Yuwa Wong, Genetic Seeds of Warfare: Evolution, Nationalism and Patriotism (Boston : Unwin Hyman, 1989), p. 4.
Tant que la densité démographique demeurait faible, les divinités des chasseurs-cueilleurs n’étaient pas des dieux guerriers, mais incarnaient les forces de la nature ou les animaux qu’ils traquaient. La faiblesse des ressources et l’immensité des territoires vierges rendaient la guerre généralement superflue : les voisins étaient soit trop éloignés, soit membres du même clan. Pour ces peuples nomades en quête de nourriture, posséder plus que le strict nécessaire était un fardeau. Faute de biens précieux, ces individus étaient peu exposés au vol. En cas de dissension, ils préféraient le plus souvent se séparer, n’abandonnant derrière eux que de modestes possessions. Le départ constituait ainsi la solution la plus simple pour mettre fin à un conflit personnel ou à des exigences excessives. Cela ne signifie pas pour autant que les humains de cette époque étaient parfaitement pacifiques ; il est même possible qu’ils aient fait preuve, au contraire, d’une cruauté et d’une violence aujourd’hui inconcevables. Quoi qu’il en soit, lorsqu’ils recouraient à la violence, c’était le plus souvent pour des raisons personnelles ou, fait peut-être plus déconcertant encore, par simple divertissement.
Le mode de vie des chasseurs-cueilleurs, organisé en petites bandes, ne permettait qu’une spécialisation minimale, hormis la distinction des rôles entre les sexes. Ils n’avaient ni gouvernement structuré, ni habitations fixes, et ne pouvaient accumuler de richesses. Les sociétés primitives ignoraient jusqu’à l’écriture. Sans écriture, il n’existait ni archives, ni récit historique.
La surexploitation
La dynamique de la chasse et de la cueillette créait des incitations au travail bien différentes de celles que nous connaissons depuis l’avènement de l’agriculture. Le capital requis pour la survie d’un chasseur-cueilleur était minime. Quelques armes et outils rudimentaires suffisaient. Il n’existait aucune possibilité d’investissement — pas même la propriété foncière —, sauf dans de rares cas, par exemple lorsque certains groupes exploitaient des carrières de silex ou de stéatite. Comme l’indique l’anthropologue Susan Alling Gregg dans Foragers and Farmers, « la possession des ressources et l’accès à celles-ci revenaient au groupe dans son ensemble ». Sauf exceptions, comme celle des pêcheurs établis sur les bords d’un grand lac, les chasseurs-cueilleurs n’avaient pas de lieu de résidence fixe. Leur mode de vie nomade faisait qu’ils n’avaient ni l’intérêt ni le besoin d’acquérir ou d’entretenir une propriété. Ils n’étaient soumis ni à l’impôt, ni aux tributs, ni à la nécessité d’acquérir des biens matériels. Quelques fourrures et ornements artisanaux suffisaient à leurs besoins. Accumuler un substitut de monnaie n’avait alors aucun sens, puisque rares étaient les biens à acheter. Dans de telles conditions, l’idée même d’épargne demeurait embryonnaire.
Sans raison de s’enrichir et en l’absence de division du travail, la notion de « labeur acharné » en tant que vertu était étrangère aux groupes chasseurs-cueilleurs. Hormis durant les périodes de disette, où la quête de nourriture exigeait plus de temps, ils ne travaillaient que le strict nécessaire. En effet, un effort supérieur au minimum vital n’offrait aucun avantage. Pour un chasseur, s’épuiser à la tâche n’augmentait pas les réserves de nourriture ; au contraire, cela risquait de les diminuer. Celui qui, par zèle excessif, abattait trop de proies ou récoltait des fruits voués à pourrir n’était d’aucune utilité pour le groupe. Au contraire, la surexploitation compromettait la régénération des ressources, mettant ainsi en péril le bien-être futur de la communauté. C’est pourquoi certains groupes de chasseurs-cueilleurs, tels que les Esquimaux, sanctionnaient ou excluaient les membres responsables de prélèvements excessifs.
L’exemple des Inuits est particulièrement significatif, car ils auraient pu, plus que tout autre peuple, conserver leur viande en la congelant. De même, ils auraient pu stocker une partie des huiles extraites des grands mammifères marins. Le fait que la plupart de ces groupes ne l’aient pas fait révèle leur grande passivité face à la nature. Cela illustre aussi comment la culture peut façonner les processus cognitifs. Les contraintes liées à l’apprentissage et au comportement en milieu complexe rendent l’adoption de certaines stratégies bien plus ardue qu’il n’y paraît. Comme le soulignent R. Paul Shaw et Yuwa Wong, « puisque les niches diffèrent sur de nombreux points, les biais d’apprentissage varient également ».9
9 Shaw et Wong, op. cit., p. 69.
En ce sens, l’avènement de l’agriculture fut bien plus qu’un simple changement de régime alimentaire : il marqua le début d’une vaste révolution dans l’organisation de la vie économique et culturelle, entraînant une transformation de la logique de la violence. L’agriculture engendra à grande échelle un capital fixe, notamment sous forme de terres et, parfois, de systèmes d’irrigation. Les récoltes et le bétail représentaient alors des biens de grande valeur, susceptibles d’être accumulés, stockés ou dérobés. Comme les cultures exigeaient un entretien constant — des semailles aux moissons —, la fuite devenait moins envisageable, surtout dans les zones arides où les terres cultivables se limitaient aux seules régions bien irriguées. Lorsque la fuite devenait plus difficile, les occasions de rançon et de pillage organisé se multipliaient. Dès lors, lors des moissons, les agriculteurs devenaient particulièrement vulnérables aux raids, ce qui amplifiait l’ampleur des conflits.
La taille des sociétés tendit à s’accroître, car les affrontements armés étaient le plus souvent remportés par le groupe le plus nombreux. Par conséquent, plus la compétition pour la terre et ses récoltes s’intensifiait, plus les sociétés devenaient sédentaires. La division du travail s’instaura progressivement, et l’emploi, ainsi que l’esclavage, firent leur apparition. Tandis que paysans et bergers se spécialisaient dans la production alimentaire, des potiers fabriquaient les récipients destinés à conserver les denrées. Parallèlement, des prêtres se consacraient aux invocations pour obtenir la pluie et assurer des récoltes abondantes, tandis que des spécialistes de la violence, précurseurs des gouvernements, se vouaient au pillage comme à la protection contre celui-ci. Aux côtés des prêtres, ils devinrent ainsi les premiers fortunés de l’histoire.
Au début des sociétés agricoles, ces guerriers s’emparaient d’une partie de la production annuelle sous forme de tribut. Dans les zones où la menace demeurait limitée, certains paysans indépendants parvenaient encore à conserver un certain degré d’autonomie. Cependant, avec l’augmentation de la densité démographique et l’intensification de la concurrence pour les ressources — particulièrement dans les régions en bordure des déserts, où la terre fertile était rare —, ces guerriers pouvaient prélever une part considérable de la production totale. C’est ainsi qu’ils constituèrent les premiers États, levant parfois jusqu’à 25 % des céréales et la moitié du croît des troupeaux. L’agriculture avait donc considérablement accru le rôle de la coercition, et l’appât du pillage déclencha une véritable vague d’exactions.
Il fallut des millénaires pour que se déploie toute la logique de la Révolution agricole. Longtemps, quelques peuples agriculteurs des zones tempérées conservèrent un mode de vie très proche de celui de leurs ancêtres chasseurs-cueilleurs. Dans ces régions fertiles et peu peuplées, l’agriculture restait une activité à échelle réduite et les pillages armés étaient rares. Toutefois, la croissance démographique, étalée sur plusieurs millénaires, finit par exposer les paysans à des pillages sporadiques, même dans les zones jusque-là épargnées. Ces raids les laissaient parfois avec à peine de quoi resemer l’année suivante. De ce fait, certaines communautés subissaient des pillages menant à une anarchie totale, tandis que d’autres, non protégées, subsistaient sans aucune organisation détenant le monopole de la violence.
Au fil du temps, la logique coercitive inhérente à l’agriculture s’est imposée sur des territoires de plus en plus vastes. Les zones où l’on pouvait cultiver et élever du bétail sans subir les exactions d’un gouvernement se sont ainsi raréfiées, confinées à quelques contrées isolées. Les régions Kafir d’Afghanistan, par exemple, résistèrent à l’autorité étatique jusqu’à la fin du XIXe siècle. Toutefois, elles s’étaient déjà transformées au fil des siècles en sociétés claniques et guerrières, incapables de déployer une force militaire conséquente. Avant l’arrivée des Britanniques et de leurs armes modernes, les Kafirs préservaient leur indépendance dans les étroites vallées de Bashgal et de Waigal, protégées par une géographie accidentée qui décourageait toute invasion[^62]. Au fil du temps, la logique même de l’agriculture, en s’imposant dans la plupart des sociétés qui l’adoptèrent, permit de constituer des communautés humaines à une échelle inédite. Il y a dix mille ans environ apparurent les premières villes. Bien que petites au regard des normes actuelles, elles devinrent les centres des premières « civilisations », un terme issu du latin civis, qui signifie « citoyen » ou « habitant d’une cité ». En créant des ressources pouvant être pillées autant que protégées, l’agriculture rendit indispensable une comptabilité rigoureuse. Il est en effet impossible de prélever un impôt sans pouvoir tenir des registres ni émettre de reçus. Les symboles utilisés dans ces livres de comptes constituèrent d’ailleurs l’ébauche de l’écriture, une invention jusque-là inconnue des communautés de chasseurs-cueilleurs. L’agriculture a également étendu l’horizon temporel dans lequel l’humanité évoluait. Alors que les groupes de chasseurs vivaient dans l’immédiateté du quotidien, s’engageant rarement dans des projets de plus de quelques jours, le cycle des semailles et des récoltes s’étalait, lui, sur plusieurs mois. En se lançant dans des entreprises à long terme, les agriculteurs se tournèrent vers les astres pour établir les repères astronomiques précis, indispensables à l’élaboration de calendriers et d’almanachs qui rythmeraient les semailles et les moissons. Ainsi, avec l’agriculture, l’horizon de l’être humain s’est considérablement élargi.
3.1 LA PROPRIÉTÉ
Le passage à une société agricole sédentaire a fait naître la notion de propriété privée. Personne n’aurait accepté de travailler une saison entière pour produire une récolte si n’importe qui d’autre avait été libre de s’en emparer à sa guise. Le concept de propriété s’est donc imposé comme une conséquence inévitable de l’agriculture. Toutefois, la clarté de ce principe fut rapidement obscurcie par la logique de la violence qui accompagnait ce nouveau mode de production. Le pouvoir n’était plus réparti équitablement, contrairement à l’époque de la chasse où tout homme adulte et valide était un chasseur armé, à égalité avec ses pairs. L’agriculture favorisa en effet une spécialisation dans l’usage de la violence. En produisant des biens susceptibles d’être volés, l’activité agricole a rendu rentable l’acquisition d’armes toujours plus performantes, entraînant une multiplication des vols, souvent organisés à grande échelle.
Les puissants purent alors instaurer une nouvelle forme de prédation : le monopole de la violence, autrement dit le « gouvernement ». Ce phénomène creusa un profond fossé au sein de la société, séparant nettement les bénéficiaires du pillage de la masse des pauvres qui peinaient à cultiver la terre. Ceux qui détenaient la puissance militaire s’enrichissaient, tout comme leurs protégés. Les rois-dieux et leurs alliés — divers potentats de rang inférieur qui dominaient les premiers États du Proche-Orient — accumulaient des formes de propriété étonnamment similaires à celles que nous connaissons aujourd’hui, tandis que la majorité, vouée au labeur, restait à l’écart de cette prospérité.
Il serait bien sûr anachronique de vouloir distinguer clairement, dans ces premières sociétés agricoles, richesse privée et richesse publique. En effet, le roi-dieu disposait des ressources de l’État comme d’un vaste domaine personnel, au point que fortune publique et patrimoine privé se confondaient. À l’instar de la période féodale en Europe, toute propriété demeurait soumise à la suzeraineté d’un seigneur supérieur, et le patrimoine des plus humbles restait à la merci du souverain.
Bien que le potentat ne fût pas soumis à la loi, il ne pouvait agir sans aucune contrainte. Le pharaon, tout comme un chef de gouvernement actuel, se devait d’évaluer les coûts et les bénéfices de ses décisions. De surcroît, les difficultés de transport et de communication limitaient son pouvoir bien plus sévèrement que celui des dirigeants contemporains. Par exemple, le transport des richesses, principalement agricoles, entraînait des pertes considérables dues au vol et à la détérioration. Augmenter le nombre de fonctionnaires pour surveiller ces opérations réduisait la fraude, mais alourdissait d’autant les frais de gestion. En outre, si la décentralisation du pouvoir pouvait stimuler la production, elle renforçait aussi l’autonomie des pouvoirs locaux, qui devenaient alors capables de défier, voire de renverser, la dynastie en place. Même les despotes d’Orient n’avaient donc pas carte blanche : ils devaient composer avec un équilibre des forces bien réel.
Certes, tous, y compris les plus riches, risquaient une expropriation arbitraire, mais il n’empêche que certains parvenaient à se constituer un patrimoine personnel. Tout comme aujourd’hui, l’État investissait une partie de ses recettes dans de grands travaux publics — projets d’irrigation, monuments religieux ou complexes funéraires royaux —, offrant ainsi aux architectes et artisans de nombreuses occasions de s’enrichir. Quelques individus bien placés pouvaient ainsi épargner et accumuler un patrimoine considérable. De fait, de nombreuses tablettes cunéiformes retrouvées en Sumer, l’une des premières civilisations de Mésopotamie, attestent de transactions commerciales consistant principalement en des transferts de titres de propriété.
Une forme de propriété privée existait donc dans ces premières sociétés agricoles, même si elle restait l’apanage d’une minorité. La grande majorité de la population, composée de paysans, était trop pauvre pour épargner. Dans de nombreuses régions, et ce jusqu’à une époque récente, leur dénuement était tel que la moindre sécheresse, inondation ou invasion d’insectes les menait presque inévitablement à la famine. C’est pourquoi les agriculteurs les plus modestes organisaient leur vie de manière à maximiser leurs chances de survie durant les années de disette. Au sein des classes populaires subsistaient des formes primitives de propriété collective. Si celles-ci augmentaient les chances de survie en période difficile, elles interdisaient en contrepartie toute accumulation de capital et, par conséquent, toute amélioration notable de leur condition.
L’assurance paysanne
Dans la plupart des sociétés paysannes prémodernes, cette dynamique se traduisait par ce que les anthropologues et historiens appellent le « village fermé ». Au lieu d’échanger avec divers acheteurs et vendeurs sur un marché libre, les foyers d’un tel village formaient une sorte de coopérative ou de grande famille, menant l’essentiel de leurs transactions avec un seul monopoleur : le seigneur local ou ses représentants. L’ensemble du village négociait ainsi avec le seigneur une redevance, généralement prélevée en nature, sous la forme d’un pourcentage important de la récolte plutôt que d’un loyer fixe. Ce paiement, proportionnel à la récolte, permettait au seigneur d’absorber une partie du risque en cas de mauvaises récoltes. En contrepartie, il s’arrogeait la majeure partie des bénéfices, puisqu’il fournissait généralement les semences.
Cet accord réduisait également le risque de famine. En effet, il imposait au seigneur — et non aux paysans — de conserver la majeure partie des semences. Dans de nombreuses régions, les rendements étaient si faibles que planter deux graines pour n’en récolter que trois n’était pas exceptionnel. Dans ces conditions, une mauvaise moisson se soldait par des famines généralisées. Les paysans optaient donc, de manière rationnelle, pour une organisation qui les contraignait à garantir leur propre subsistance. En contrepartie, ils devaient payer des prix exorbitants pour les produits qu’ils achetaient, vendre le fruit de leur labeur à bas prix et fournir au seigneur une prestation en nature. C’était le prix à payer pour améliorer leurs perspectives de survie. Par ailleurs, les paysans renonçaient fréquemment à la sécurité d’une propriété foncière pleine et entière. En se plaçant sous la tutelle du chef du village, un foyer s’assurait de participer à la redistribution régulière des terres. Souvent, le chef du village s’octroyait les meilleures parcelles, tandis que ses proches bénéficiaient également d’avantages. Ce risque était toutefois accepté pour profiter de la « garantie de survie » offerte par ce système de propriété collective incertain. Les écarts de rendement pouvaient être tels, surtout en période de crise, que la différence de fertilité entre deux parcelles séparées de cent mètres à peine pouvait signifier la frontière entre la vie et la mort. Les paysans préféraient donc atténuer le risque de tout perdre, quitte à sacrifier l’amélioration de leur prospérité.
En règle générale, plus un groupe vit en marge de la subsistance, plus il manifeste une aversion au risque. Les dures réalités de la vie préindustrielle dictaient en effet la prudence aux plus démunis. Comme l’explique The Great Reckoning, cette aversion au risque réduisait le champ des pratiques économiques jugées socialement acceptables. Tabous et contraintes sociales étouffaient ainsi l’innovation et l’expérimentation, même si ces dernières auraient pu apporter des améliorations notables aux méthodes traditionnelles[^63]. En réalité, il s’agissait d’un mécanisme logique : l’expérimentation accroît la variabilité des résultats. Certes, elle offre la possibilité de gains importants, mais elle comporte également un risque accru de pertes pouvant être fatales pour les plus vulnérables. Dans les sociétés agricoles pauvres, les normes culturelles visaient donc à freiner l’innovation. En somme, cette frilosité culturelle agissait comme une forme d’assurance. Si les paysans disposaient d’une véritable assurance ou d’économies suffisantes pour supporter les conséquences de leurs essais, les tabous auraient perdu de leur force.
Les cultures ne sont pas une simple affaire de préférences : elles constituent des systèmes d’adaptation à des environnements donnés, et peuvent se révéler inefficaces, voire néfastes, dans d’autres contextes. La grande diversité des environnements où vivent les humains et la multiplicité des niches écologiques qu’ils occupent exigent des ajustements comportementaux trop complexes pour reposer sur le seul instinct. C’est pourquoi le comportement dépend en grande partie des conventions culturelles. Dans la plupart des sociétés agricoles, l’existence de la majorité était ainsi culturellement orientée vers la survie, et rarement au-delà. Seuls les plus nantis pouvaient s’offrir le luxe de commercer librement sur les marchés.
L’initiative personnelle et la liberté de choix — la « poursuite du bonheur » dans son acception moderne — se heurtaient à des interdictions et à des restrictions particulièrement sévères pour les plus démunis. Seule une amélioration notable de la productivité pouvait, à terme, permettre de surmonter ces contraintes. Lorsque l’agriculture se perfectionna, comme ce fut le cas dans la Grèce antique, de légères révolutions mégapolitiques se produisirent. Des formes plus modernes de propriété virent alors le jour. L’« allod », c’est-à-dire la pleine propriété foncière, fit son apparition. Le plus souvent, les terres étaient louées contre un loyer fixe ; le fermier assumait alors le risque économique et bénéficiait d’une part plus importante des profits en cas de bonne récolte. À mesure que l’épargne permettait de mieux se prémunir contre les risques, les petits propriétaires pouvaient transcender leur statut de paysan et, parfois, acquérir une richesse autonome.
Cette tendance des relations foncières à se rapprocher d’une économie de marché — que ce soit au sommet de la hiérarchie économique ou, plus rarement, dans toute la société lorsque la productivité s’améliorait — constitue un trait structurel majeur de l’organisation sociale. Il est également essentiel de souligner que l’organisation prédominante dans les sociétés agricoles était généralement de type féodal, reposant sur une aristocratie tournée vers le marché au sommet et une communauté villageoise repliée sur elle-même à la base. Dans toutes les sociétés agricoles prémodernes, la grande majorité des paysans était liée à la terre. Tant que la productivité agricole demeurait faible ou que les rendements dépendaient d’imposants systèmes d’irrigation centralisés, les libertés individuelles et les droits de propriété au bas de l’échelle restaient très limités. Dans ces conditions, la féodalité, sous ses multiples déclinaisons, s’imposa comme modèle de possession de la terre : celle-ci était détenue par un système de tenure plutôt que par un titre de propriété plein et entier, ce qui restreignait strictement les droits de vente, de donation et d’héritage.
Le féodalisme, sous ses multiples formes, répondait à la fois au risque constant de violences prédatrices et à la faiblesse des rendements. Dans les sociétés agricoles, ces deux facteurs s’alimentaient souvent l’un l’autre. L’affaiblissement de l’autorité publique s’accompagnait généralement d’une régression des droits de propriété et d’une baisse de la prospérité, tandis que le recul de la productivité sapait en retour l’autorité. Toutefois, un épisode de sécheresse ou un changement climatique défavorable n’entraînait pas systématiquement l’effondrement de l’ordre public, bien que ce cas de figure se soit maintes fois présenté au cours de l’histoire.
3.2 La révolution féodale de l’an 1000
Tel fut le cas lors de la mutation de l’an 1000, qui marqua la naissance de la révolution féodale[^64]. À cette époque, les conditions mégapolitiques et économiques différaient nettement de celles que nous associons habituellement au Moyen Âge. Durant les premiers siècles qui suivirent la chute de Rome, l’économie de l’Europe occidentale s’effondra. Sur les territoires de l’ancien Empire romain, les royaumes germaniques reprirent certaines fonctions de l’État romain, mais avec une ambition et une portée bien moindres. Les infrastructures se détériorèrent progressivement : ponts et aqueducs s’effritèrent jusqu’à devenir inutilisables. Le monnayage romain, longtemps resté en usage, disparut presque totalement de la circulation. Le marché foncier, autrefois dynamique, s’éteignit peu à peu. Les cités, qui formaient l’ossature politico-administrative de Rome, se vidèrent, tandis que la capacité du pouvoir central à lever l’impôt déclinait. Presque tous les aspects de la civilisation romaine s’évanouirent.
Cette époque est qualifiée d’« Âges sombres » à juste titre. L’alphabétisation était devenue si rare que tout individu lettré, s’il commettait un crime — y compris un meurtre —, pouvait espérer échapper à sa condamnation. Les savoir-faire artistiques, scientifiques et techniques, autrefois largement répandus à l’époque romaine, avaient quasiment disparu. Les méthodes de construction des routes et les techniques de greffe de la vigne ou des arbres fruitiers, jadis maîtrisées, tombèrent en désuétude en Europe occidentale. Même l’ancienne technique du tour de potier fut abandonnée en de nombreux lieux. L’activité minière et la production de métaux déclinèrent, et l’irrigation dans les régions méditerranéennes s’effondra, faute d’entretien[^65]. Comme l’a souligné l’historien Georges Duby : « À la fin du VIe siècle, l’Europe était un pays profondément arriéré[^66]. » Malgré une brève restauration de l’autorité centrale sous Charlemagne vers l’an 800, l’édifice s’effondra de nouveau après sa mort.
Paradoxalement, cette déliquescence du pouvoir romain a sans doute permis, pendant quelques siècles, une amélioration du niveau de vie des petits paysans. Héritiers des traditions tribales, les royaumes germaniques conservaient des structures sociales plus souples, comme l’égalité juridique entre petits propriétaires. Les cultivateurs jouissaient ainsi durant les « Âges sombres » d’une liberté plus grande que sous le système féodal qui lui succéda, ce qui se traduisit par une prospérité relative. Comme le montre notre analyse de la logique des régimes fonciers selon les niveaux de productivité, la libre tenure des terres coïncide historiquement avec une certaine aisance pour les petits exploitants. À l’inverse, les systèmes de propriété collective, comme le village fermé ou la tenure féodale, réapparaissent généralement lorsque la productivité devient trop faible pour que les petits propriétaires puissent en vivre convenablement.
Certes, l’effondrement du commerce durant les Âges sombres priva les cultivateurs des avantages d’un grand marché et des bénéfices de la spécialisation. La chute des villes, si elle porta un coup dur à l’économie monétaire, libéra en contrepartie les populations rurales du joug d’une lourde bureaucratie. Guy Bois observe d’ailleurs qu’à l’époque romaine, la ville jouait un rôle essentiellement parasitaire : « La fonction la plus importante d’une cité était d’ordre politique. La ville vivait principalement des rentrées financières qui lui parvenaient de la campagne via l’impôt foncier… En réalité, la ville produisait peu ou rien pour le bénéfice de la campagne environnante[^67]. » La dissolution du pouvoir romain libéra donc les cultivateurs de leurs impôts, qui représentaient « entre un quart et un tiers du produit brut de la terre, sans compter les diverses exactions dont souffraient les petits et moyens propriétaires[^68]. » Sous la pression de ce fardeau, aggravé de méthodes coercitives pouvant aller jusqu’à l’exécution, de nombreuses fortunes s’étaient volatilisées. L’arrivée des Barbares mit un terme définitif à cette fiscalité.
Agri Deserti
L’allègement des charges publiques, conséquence des conquêtes barbares, permit aux plus modestes d’acquérir un lopin de terre en pleine propriété. Une partie des agri deserti – ces exploitations que leurs anciens propriétaires, ruinés, avaient abandonnées pour fuir la fiscalité prédatrice du Bas-Empire romain – fut remise en culture. Malgré des infrastructures rudimentaires et des rendements modestes, les Âges sombres offrirent ainsi aux petits propriétaires une situation relativement confortable. En réalité, ils ne devaient retrouver une position aussi favorable qu’à l’époque moderne. En effet, la main-d’œuvre était devenue rare, et de vastes étendues de terres, autrefois cultivées sous l’Empire romain, avaient été laissées à l’abandon. Épidémies, guerres et fuite des propriétaires, lassés d’une Rome en déclin, avaient considérablement dépeuplé des territoires jadis prospères. Les petits exploitants bénéficièrent également, dès le VIe siècle, de l’adoption de techniques agricoles innovantes, comme la charrue lourde, parfois montée sur roues. Associée à un harnais perfectionné permettant d’atteler plusieurs bœufs, elle facilita le défrichement des terres d’Europe du Nord[^69].
Dans ces conditions, le marché foncier disparut presque totalement. Il suffisait de défricher soi-même de nouvelles parcelles et d’en remettre une partie à l’autorité locale pour en disposer, une pratique appelée assartage. Dans l’Europe septentrionale, peu densément peuplée, la remontée des températures à partir du VIIIe siècle rendit l’agriculture plus rentable et favorisa ce phénomène.
Les chefs des tribus germaniques ayant conquis les anciens territoires romains étaient devenus d’importants propriétaires terriens, tandis que la majorité de la population libre ne cultivait que de modestes parcelles, dans un ordre social encore très éloigné du système féodal à venir. Les grands propriétaires, ou maîtres, ne représentaient toutefois qu’environ 7 à 10 % de la population. Il semblerait qu’avant l’an 1000, deux tiers des habitants d’un village typique en France étaient propriétaires à part entière[^70] et possédaient près de la moitié des surfaces cultivées[^71]. Les serfs étaient rares, et les coloni, ces fermiers locataires, ne constituaient qu’environ 5 % de la population. L’esclavage subsistait, mais sous une forme bien moins étendue que sous l’Empire romain.
Les royaumes germaniques qui succédèrent à Rome reposaient militairement sur l’ensemble des hommes libres, mobilisés à l’appel de leur représentant local, le comte. Même les paysans modestes étaient tenus de s’équiper collectivement pour envoyer l’un des leurs combattre dans l’infanterie. « Dans l’Édit de Pîtres, Charles le Chauve ordonna à tous ceux qui en avaient les moyens de rejoindre la bataille à cheval. En 732, le pape Grégoire II avait d’ailleurs tenté de soutenir cet effort militaire en proscrivant la consommation de viande de cheval[^72],[^73]. » Toutefois, il existait peu de distinctions de statut ou de droits entre les fantassins et les cavaliers. Tous les hommes libres participaient aux assemblées judiciaires et pouvaient en appeler au jugement du comte, dont la fonction était un héritage de la Rome tardive. On ne parlait donc pas de noblesse à proprement parler.
« Un phénomène social, nouveau en tant que phénomène de masse, apparut soudain à l’horizon dans les années 980 : la mobilité sociale descendante. Ses premières victimes furent les petits propriétaires en alleu[^74]. » — Guy Bois
Au fil des Âges sombres, divers phénomènes contribuèrent à saper l’indépendance des paysans-propriétaires et des tenanciers libres dans les royaumes germaniques qui avaient succédé à Rome :
L’essor démographique accrut la concurrence pour la terre. En quelques siècles, les parcelles les plus fertiles encore disponibles furent toutes mises en culture, notamment en Europe du Nord. Le nombre croissant de paysans sur des superficies limitées fit chuter la valeur de leur travail. Par ailleurs, le partage égalitaire de l’héritage familial entraîna un morcellement généralisé des propriétés. Dans ce contexte, la terre prit de la valeur et les marchés fonciers reprirent vie dès le milieu du Xe siècle.
Dans les dernières décennies du Xe siècle, un brusque refroidissement climatique affecta la productivité agricole. De mauvaises récoltes se succédèrent entre 982 et 984, provoquant de graves famines. Une nouvelle année de disette en 994 aggrava la situation[^75]. Puis, en 997, alors que les rendements ne s’amélioraient toujours pas, une épidémie éclata et ravagea les petites exploitations familiales, désormais incapables de remplacer une main-d’œuvre décimée. Face à ces désastres à répétition, les paysans-propriétaires s’endettèrent, mais les récoltes manquant à nouveau, ils se trouvèrent dans l’incapacité de rembourser leurs dettes.
Le rôle croissant de la cavalerie lourde bouleversa les rapports de force. L’historienne médiéviste Frances Gies décrit ainsi l’ascension du chevalier en armure dans la société médiévale : > « À l’origine, le chevalier n’était qu’un guerrier de rang modeste, que le coût élevé de son cheval et de son armure séparait du monde paysan. Peu à peu, il gravit les échelons de la société pour intégrer la noblesse. Bien que les chevaliers constituassent la couche inférieure de la classe supérieure, la renommée de la chevalerie s’accrut au point que même les grands nobles, voire les rois, considéraient cette promotion comme un honneur. Cette notoriété reposait avant tout sur la politique de l’Église qui, en christianisant la chevalerie par la cérémonie de l’adoubement et en promouvant un code de conduite – plus souvent transgressé qu’observé –, parvint néanmoins à laisser une empreinte durable sur les mentalités[^76]. » Comme nous l’expliquions dans The Great Reckoning, l’invention de l’étrier conféra au chevalier en armure une capacité d’assaut redoutable. Il pouvait désormais charger au galop et supporter le choc de sa lance sans être désarçonné. L’efficacité de la cavalerie lourde fut encore accrue par une innovation venue d’Asie, transmise en Europe occidentale à la fin du Xe siècle : le fer à cheval cloué, qui augmentait considérablement l’endurance de la monture[^77]. La selle creusée, qui permettait de manier des armes lourdes, ainsi que l’éperon et le mors à gourmette – laissant au combattant une main libre – accrurent encore la puissance du chevalier[^78]. Toutes réunies, ces avancées technologiques, en apparence anodines, éclipsèrent l’importance militaire des petits fermiers, incapables de s’offrir un cheval de guerre et un équipement coûteux. Même les destriers bon marché, destinés au combat, valaient l’équivalent de quatre bœufs ou quarante moutons. Les plus chers se chiffraient à dix bœufs ou cent moutons, et l’armure coûtait à elle seule l’équivalent de soixante moutons[^79].
À l’approche de l’an 1000, un enchaînement de mauvaises récoltes, de famines et d’épidémies, conjugué à un refroidissement climatique, plongea la population dans l’angoisse. Craignant la fin du monde ou le Jugement dernier, de nombreux propriétaires, riches comme modestes, offrirent leurs terres à l’Église afin de préparer leur salut.
« Seul un pauvre vend le sol qu’il occupe »
Les circonstances dramatiques de la fin du Xe siècle ouvrirent la voie à la révolution féodale. Écrasés par les dettes et l’insuffisance des récoltes, nombre de paysans durent céder leurs terres, au moment même où le système féodal prenait forme. Comme le souligne Guy Bois, « le seul moyen sûr pour un paysan de conserver la terre qu’il cultivait était d’en transférer la propriété à l’Église, afin d’en garder l’usufruit[^80]. » D’autres firent ainsi don d’une partie ou de la totalité de leurs biens à des exploitants plus fortunés en qui ils avaient confiance. Ces transferts s’accompagnaient généralement de la condition que le paysan, sa famille et ses descendants demeurent sur les lieux pour en cultiver la terre. En contrepartie, le paysan bénéficiait de la protection de son nouveau seigneur, désormais qualifié de « noble », lequel, disposant de chevaux et d’une armure, pouvait défendre ce domaine agrandi. Pour le paysan devenu serf, cette transaction constituait un moindre mal face à la perspective de tout perdre. Bien souvent, il n’avait pas d’autre choix. La chute des rendements n’eut pas seulement pour effet de précipiter les paysans dans une impasse économique ; elle déclencha également une escalade de la violence qui rendit la propriété foncière encore plus précaire. Ceux qui n’avaient pas les moyens d’acquérir un cheval et un équipement de guerre devinrent soudainement vulnérables. Pour prendre une analogie moderne, c’est comme si votre survie dépendait de l’achat d’une arme d’une valeur de 100 000 dollars. Quiconque ne pouvait assumer une telle dépense devenait la proie de ceux qui en avaient les moyens.
En quelques années, le roi et la justice comtale perdirent tout contrôle sur le maintien de l’ordre[^81]. Dès lors, quiconque possédait un cheval et une armure pouvait imposer sa propre loi. Ce fut l’avènement d’un véritable chaos médiéval, une sorte de Blade Runner d’antan, où s’imposaient pillages et combats, face auxquels l’autorité légitime demeurait impuissante. Les chevaliers en armes pillaient les récoltes et ravageaient les campagnes. Les pauvres n’étaient pas les seules victimes : il était souvent plus profitable de s’en prendre aux biens de propriétaires aisés, parfois trop âgés ou affaiblis pour se défendre. De surcroît, des calamités climatiques ont peut-être accéléré cet effondrement. Une fois la violence érigée en système, il devint évident qu’aucune force ne pouvait plus l’enrayer. Des dizaines de paysans à pied ne faisaient pas le poids face à un chevalier monté. Qu’il s’agisse de simples paysans ou des plus hautes autorités — les rois et leurs comtes —, tous étaient impuissants à empêcher un homme armé et à cheval de s’emparer des terres.
« La Paix de Dieu »
Face à l’urgence, l’Église tenta de négocier une trêve dans les campagnes ravagées, favorisant ainsi l’émergence de la féodalité. L’historien Guy Bois décrit ce contexte en ces termes : « L’impuissance des autorités politiques était telle que l’Église les suppléait pour tenter de rétablir l’ordre, à travers la “Paix de Dieu”. Les “Conciles de la Paix” édictaient des interdictions, renforcées par des anathèmes ; lors de vastes “assemblées de la Paix”, les guerriers prêtaient serment. Le mouvement prit son essor dans le Midi (concile de Charroux en 989, concile de Narbonne en 990), avant de s’étendre progressivement… »[^82].
Le compromis négocié par l’Église consistait à reconnaître l’autorité locale des chevaliers en échange de la cessation ou, du moins, de la modération de leurs violences. Les titres fonciers rédigés après l’intensification des conflits, à la fin du Xe siècle, comportaient désormais la mention « nobilis » ou « miles », attestant d’une seigneurie. C’est ainsi que la noblesse se constitua en un ordre distinct ; auparavant, une telle désignation n’apparaissait pas dans les actes de propriété[^83].
Dans un contexte d’insé
Cette effervescence, caractéristique de la révolution féodale, engendra une nouvelle organisation du pouvoir qui consolida la féodalité, notamment par l’essor des châteaux. Apparues au IXe siècle en Europe du Nord-Ouest sous la forme de simples structures de bois en réaction aux incursions vikings, ces forteresses servaient initialement de postes de commandement pour quelques officiers carolingiens, puis devinrent des possessions héréditaires après la révolution féodale. Bien qu’encore rudimentaires comparées aux édifices ultérieurs, ces premières forteresses étaient néanmoins difficiles à conquérir. Lorsqu’un château était construit, il n’était que rarement détruit, et ne l’était qu’au prix de moyens considérables. Avec leur multiplication dans les campagnes, il devint de plus en plus improbable que le roi ou ses comtes puissent s’opposer efficacement à la domination des seigneurs locaux.
Les contributions de l’Église à la productivité
Le féodalisme s’est imposé comme une réponse sociétale à l’effondrement de l’ordre public, dans un contexte de faible productivité agricole. Dès ses débuts, l’Église a joué un rôle prépondérant, tant sur le plan spirituel qu’économique. Citons quelques-unes de ses contributions :
- Dans un environnement où le pouvoir militaire était morcelé, l’Église parvenait à maintenir la paix et à diffuser des règles transcendant les souverainetés locales fragmentées, une fonction qu’aucun pouvoir laïc n’aurait pu remplir. L’éminent spécialiste des religions A. R. Radcliffe-Brown l’illustre bien : « La fonction sociale d’une religion n’a rien à voir avec sa véracité ou sa fausseté. Même si elles nous paraissent absurdes ou révoltantes, telles celles de certaines tribus dites “sauvages”, elles peuvent jouer un rôle crucial dans le fonctionnement social[^84]. » C’est exactement ce qu’a accompli l’Église aux débuts de l’époque féodale : elle a établi des règles, qu’elles soient liées à la morale commune ou qu’elles répondent à des dilemmes exacerbés par les conditions politiques de l’époque. L’Église médiévale occupait une position privilégiée pour rétablir l’ordre dans les campagnes, notamment lors des dernières années du Xe siècle. En soutenant les autorités locales tant sur le plan religieux que cérémoniel, elle a facilité l’émergence de monopoles partiels sur l’usage de la violence et favorisé l’instauration d’un ordre minimal, socle des configurations de pouvoir plus stables à venir.
À plus long terme, l’Église a œuvré pour réguler les guerres privées et les excès de violence que le pouvoir civil était incapable de contenir. Au XIe siècle, la paroisse devint la principale circonscription administrative en Europe de l’Ouest, alors que les divisions civiles romaines – l’ager et le pagus –, vestiges des Âges sombres, sombraient peu à peu dans l’oubli[^85].
L’Église fut la principale gardienne et source de transmission des savoirs, y compris techniques. Elle favorisa l’essor des universités et offrit à la société médiévale un accès aux rudiments de l’éducation. Elle développa également un procédé, certes rudimentaire mais essentiel, pour la reproduction des livres : les scriptoria bénédictins, seuls lieux où, avant l’invention de l’imprimerie, l’ensemble du savoir de l’époque féodale était copié et préservé.
L’Église joua un rôle majeur dans l’amélioration de la productivité agricole, particulièrement durant les premiers siècles de la féodalité, notamment parce que ses régisseurs savaient lire et écrire. Alors que les administrateurs laïcs, souvent illettrés, ne tenaient leurs comptes qu’à l’aide d’un système complexe de symboles et n’apprenaient que les techniques qu’ils inventaient eux-mêmes ou observaient directement, l’Église put diffuser plus efficacement les innovations en matière d’agriculture et d’élevage — comme l’emploi de semences de qualité ou la sélection de races de bétail plus productives — à travers l’Europe grâce à son vaste réseau de domaines. Ainsi, stimulés par la demande de vin pour la liturgie, les moines expérimentèrent des cépages plus résistants aux climats froids du Nord. Par ailleurs, de nombreuses petites parcelles, souvent attribuées à l’Église lors de la révolution féodale, furent regroupées en unités de production plus rationnelles, facilitant ainsi leur exploitation. Enfin, les monastères fournissaient également des services collectifs aux villages, notamment en assurant la mouture du grain dans leurs moulins.
L’Église assumait nombre de fonctions aujourd’hui dévolues à l’État, y compris la construction d’infrastructures collectives. C’était l’un des moyens par lesquels elle parvenait à résoudre les « dilemmes des biens publics » dans une ère de souverainetés fragmentées. Certaines congrégations religieuses du haut Moyen Âge se consacrèrent à l’ingénierie appliquée en rouvrant d’anciennes routes, en reconstruisant des ponts délabrés et en réparant les aqueducs hérités de l’Empire romain. Elles défrichaient des terres, érigeaient des digues et asséchaient les marais. L’ordre des Chartreux fora le premier puits « artésien » dans l’Artois, en creusant assez profondément pour que l’eau jaillisse sans qu’il soit nécessaire de la pomper[^86]. Les Cisterciens, quant à eux, construisirent et entretinrent des digues et des levées en bord de mer dans les pays plats d’Europe. Des villageois leur cédaient des terres, qu’ils reprenaient ensuite en location, tandis que les moines prenaient en charge l’intégralité des frais d’entretien. Ces mêmes Cisterciens furent à la pointe de l’utilisation de la force hydraulique pour des activités telles que le martelage, le broyage, la mouture ou le pressage[^87]. Le monastère de Clairvaux fit creuser un canal de plus de trois kilomètres depuis la rivière Aube[^88]. Lorsque de nouveaux centres urbains prirent leur essor en dehors des anciennes voies romaines, il devint nécessaire de créer des routes et des ponts ; les évêques offraient alors des indulgences aux seigneurs locaux qui entretenaient les passages de rivières et garantissaient l’accueil des voyageurs. Les Frères Pontifes, un ordre monastique, édifièrent certains des plus longs ponts de l’époque, comme le pont d’Avignon, avec ses vingt arches enjambant le Rhône et sa chapelle-tour de péage à l’une de ses extrémités. Même le London Bridge, qui subsista jusqu’au XIXe siècle, fut construit sous l’égide d’un chapelain et partiellement financé par un don de mille marcs d’un légat du pape[^89].
L’Église favorisa le développement d’un marché plus dynamique dans de nombreux domaines. La construction de cathédrales, par exemple, se distingue fondamentalement des infrastructures publiques à vocation utilitaire, telles que les ponts ou les aqueducs. En théorie, les édifices religieux étaient consacrés au culte et non au commerce. Il ne faut cependant pas négliger le fait que l’édification des grandes églises médiévales stimula l’expansion d’un marché pour les compétences artisanales et l’ingénierie. De la même manière que les dépenses militaires des États-nations durant la guerre froide ont involontairement favorisé la création d’Internet, les cathédrales du Moyen Âge contribuèrent indirectement à l’essor du commerce. L’Église était en effet un client majeur pour les bâtisseurs et les artisans. Ses commandes d’objets liturgiques en or ou en argent – qu’il s’agisse de services de communion, de chandeliers ou d’ornements – permirent l’émergence d’un marché de biens de luxe qui, sans elle, n’aurait jamais vu le jour.
À bien des égards, l’Église contribua à tempérer la violence féroce des chevaliers durant la révolution féodale et les siècles qui suivirent. Son action permit d’améliorer de manière significative la productivité agricole au début de la période féodale, faisant d’elle une institution capitale, parfaitement adaptée aux besoins du monde rural qui émergeait des Âges sombres.
La vulnérabilité à la violence
La « révolution féodale de l’an 1000 », période de « trente ou quarante ans de troubles violents »[^90], fut – à l’instar de la chute de Rome cinq siècles plus tôt – un événement singulier, résultant d’une conjonction complexe de facteurs. L’essor des mali homines (« hommes méchants ») et l’oppression qui s’ensuivit révèlent toutefois la profonde vulnérabilité de la société agricole face à la violence. Contrairement à l’ère des chasseurs-cueilleurs, le développement de l’agriculture a rapidement favorisé l’émergence de la guerre organisée et de la domination par la force.
Ce lien étroit entre agriculture et violence se manifeste dans les mœurs guerrières des premières sociétés agricoles. Leurs divinités étaient étroitement associées à la pluie et aux inondations, éléments essentiels à la réussite des récoltes, tandis que les premiers rois n’étaient guère plus que des chefs de guerre[^91].
Cette corrélation se retrouve jusque dans l’imaginaire religieux des peuples que la culture des sols a transformés. L’expulsion du Jardin d’Éden peut ainsi être interprétée comme la métaphore de la rupture que constitua le passage à l’agriculture : l’abandon d’une vie libre, nourrie par la générosité de la nature, au profit d’une existence sédentaire plus laborieuse, plus encadrée et source de nouveaux conflits.
3.3 Le paradis perdu
L’agriculture a ouvert une voie inédite à l’humanité. Les premiers cultivateurs ont véritablement semé les germes de la civilisation. De leurs travaux naquirent villes, armées, arithmétique, astronomie, cachots, vin et whisky, écriture, rois, esclavage et guerre. Pourtant, malgré les profonds bouleversements qu’elle a engendrés, cette transition depuis le mode de vie originel semble avoir été vécue avec regret dès ses débuts. C’est ce que suggère le Livre de la Genèse, qui évoque la perte du paradis. La parabole biblique du Jardin d’Éden résonne comme un hommage à la douceur de vivre d’avant l’agriculture, lorsque l’on cueillait la nourriture dans la nature sans grand effort. Les érudits considèrent d’ailleurs que le terme « Éden » est issu d’un vocable sumérien signifiant « terre sauvage »[^92].
L’abandon d’une existence nomade sur un territoire immense au profit d’une sédentarisation villageoise fut profondément regretté, comme en témoignent non seulement la Bible, mais aussi l’attitude boudeuse dont l’humanité fait preuve face au travail matinal. Stephen Boyden, dans Western Civilization in Biological Perspective, qualifie ce mode de vie agricole d’« évo-déviant »[^93]. Avant cette transition, des milliers de générations avaient vécu à la manière d’Adam à Éden, avec la permission divine : « Tu pourras manger de tout arbre du jardin. » Les chasseurs-cueilleurs n’avaient ni bétail à garder ni champs à ensemencer, et ne payaient aucun impôt. Errants et libres, ils travaillaient peu et ne rendaient de comptes à personne.
L’agriculture donna naissance à un mode de vie radicalement nouveau, soumis à des contraintes bien plus sévères. « …la terre te produira des épines et des chardons ; tu mangeras l’herbe des champs ; c’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain. » L’agriculture imposait un labeur incessant, si bien que le souvenir de l’existence nomade finit par incarner l’image d’un paradis perdu.
Sans le vouloir, les paysans créèrent des conditions qui allaient bouleverser la dynamique même de la violence. Il n’est pas fortuit que le livre de la Genèse présente Caïn, premier meurtrier, comme un « laboureur ». C’est là l’une des intuitions prophétiques de la Bible, probablement transmise par des pasteurs qui pressentaient les dangers inhérents à l’agriculture. En quelques versets, le récit biblique résume une logique qui ne s’est pleinement déployée qu’au fil des millénaires. En effet, l’agriculture attisa les conflits en permettant l’accumulation de biens au sein de vastes communautés sédentaires. Dès lors, les profits potentiels de la prédation s’en trouvèrent amplifiés, soulevant pour la première fois la question cruciale de la protection des richesses. Elle rendit, pour la première fois, profitables tant la délinquance que l’exercice gouvernemental.
[^62] : Pour plus de détails sur les Kafirs, voir Schuyler Jones, Men of Influence in Nuristan (Londres : Seminar Press, 1974). [^63] : Voir Samuel L. Popkin, The Rational Peasant (Berkeley : University of California Press, 1979), p. 13. [^64]: Voir Bois, op. cit. [^65]: Voir Frances et Joseph Gies, Cathedral, Forge, and Waterwheel: Technology and Invention in the Middle Ages (New York : HarperCollins, 1994), p. 40. [^66]: Voir ibid., p. 42. [^67]: Voir Bois, op. cit., p. 78. [^68]: Voir ibid., p. 118. [^69]: Voir Gies, op. cit., p. 45. [^70]: Voir Bois, op. cit., p. 116. [^71]: Voir ibid., p. 26. [^72]: Ibid., p. 64. [^73]: Gies, op. cit., p. 47. [^74]: Bois, op. cit., p. 52. [^75]: Ibid., p. 150. [^76]: Gies, op. cit., p. 2. [^77]: Ibid., p. 46. [^78]: Ibid., pp. 56‑57. [^79]: Ibid., p. 58. [^80]: Bois, op. cit., p. 87. [^81]: Ibid. Bien que la chronologie de la révolution féodale soit difficile à établir avec précision, faute de sources suffisantes, la thèse proposée par Guy Bois nous semble très convaincante. Elle présente en effet l’avantage d’être cohérente, d’éclairer des faits jusqu’alors inexpliqués et de conforter nos propres hypothèses. [^82]: Ibid., p. 136. [^83]: Ibid., pp. 57 et suivantes. [^84]: A. R. Radcliffe-Brown, « Religion and Society », dans Structure and Function in Primitive Society (London : Cohen & West, 1952), pp. 153‑177. [^85]: Bois, op. cit., p. 36. [^86]: Gies, op. cit., p. 112. [^87]: Ibid., p. 114. [^88]: Ibid., p. 117. [^89]: Sur les ponts et les infrastructures, voir principalement ibid., p. 148–154. [^90]: Bois, op. cit., p. 136. [^91]: Voir Norman Cohn, Cosmos, Chaos, and the World to Come: The Ancient Roots of the Apocalyptic Faith (New Haven : Yale University Press, 1993), chap. 1–3, en particulier p. 60. [^92]: Bruce M. Metzger et Michael D. Coogan (dir.), The Oxford Companion to the Bible (Oxford : Oxford University Press, 1993), p. 178. [^93]: Boyden, op. cit., p. 118.